- ÉDITO
Depuis six ans déjà, notre association combat l'homophobie sous toutes ses formes, discriminations, rejets ou violences liés à l'orientation sexuelle. Ce faisant, Sos homophobie oeuvre pour la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne homosexuelle. Pendant ces années, nous avons souvent eu l'impression de dépenser beaucoup d'énergie pour aboutir à de bien maigres résultats.
A sa création en 1994, Sos homophobie proposait déjà un amendement à la Déclaration des droits de l'homme inscrite au Préambule de la Constitution : "Toute personne a le droit fondamental de pouvoir choisir son mode de vie, ses amitiés, ses amours et sa sexualité. Nul ne sera l'objet de discriminations en fonction de ses choix, dans sa vie privée, publique ou professionnelle, ni d'atteintes à son intégrité physique ou morale. Toute personne a le droit à la protection de la loi contre de telles discriminations ou atteintes". Elever l'orientation sexuelle au rang de liberté fondamentale, pénaliser l'homophobie, ne sont donc pas des idées nouvelles.
Cette année, tout a semblé s'accélérer des textes ont été votés et des interlocuteurs réceptifs s'engagent à faire avancer les dossiers. Alors, les associations de défense des droits des personnes homosexuelles ont quelques bonnes raisons de se réjouir des jalons significatifs ont bel et bien ét posés dans la marche vers l'égalité des droits. Le Pacs tout d'abord, fait loi le 15 novembre 1999. Certes, il reste à contrôler son application et surtout à le faire évoluer car tel quel, il ne convient pas suffisamment aux besoins des couples de même sexe ou pas, parfois même il les dessert.
Puis, le tout récent amendement de Jean-Pierre Michel (MDC) adopté par l'Assemblée Nationale le 10 février 2000, qui permet enfin aux associations de lutte contre l'homophobie de se constituer partie civile pour faire valoir les droits des homosexuels dans leur ensemble. Un premier texte de Patrick Bloche (PS) enjoignait en 1999 le CSA (Conseil supérieur audiovisuel) "à veiller à ce que les programmes ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence en raison de l'orientation sexuelle".
Le droit européen se préoccupe également de la question, le traité d'Amsterdam propose aux pays de I'UE de "combattre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle", les résolutions de 1994 et 1998 revendiquent l'égalité pour les gais et les lesbiennes, la recommandation de 1997 combat les discours de haine. En 1999, quelques associations (Aides, Act Up, le Centre Gai et Lesbien de Paris, Prochoix, Sos homophobie), soutenues par la Ligue des Droits de l'Homme, ont élaboré un "Manifeste pour une stratégie contre l'homophobie". Le premier volet de ce Manifeste établit un constat de l'homophobie en France, le deuxième propose des mesures préventives (Le lancement de campagnes nationales contre l'homophobie, l'octroi de moyens financiers ou logistiques aux associations et lignes d'écoute qui remplissent des missions de service public, le financement d'études sur le suicide des adolescents homosexuels ...) et le troisième volet est une proposition de loi contre l'incitation à la haine homophobe : une modification des lois de 1881 sur la presse (insultes, diffamation et provocation à la haine et à la violence), ouvrir la possibilité aux associations de se constituer partie civile - ceci est acquis depuis l'adoption de l'amendement de Jean-Pierre Michel donnant aux associations la possibilité de se constituer partie civile au motif d'atteinte homophobe, l'alourdissement des sanctions, l'ajout de l'orientation sexuelle à la liste des motifs recevables dans les textes traitant des discriminations (Code pénal et Code du travail)... Dans la foulée, plusieurs députés, Bernard Birshinger (PCF), (M. Léotard n'aurait eu d'autre intention que de faire un effet d'annonce), ont déposé des propositions de loi à l'Assemblée Nationale. (Les Verts, et le PS pourraient suivre dans les prochains mois).
Si nous nous réjouissons de ces avancées, pour autant nous ne baissons pas la garde ! Maintenant que certains obstacles ont été levés, tout reste à faire.
Dans le domaine qui nous occupe, Sos homophobie demeure le seul Observatoire de l'homophobie en France et si l'homophobie semble être devenue un sujet très prisé, aucun organisme officiel n'est encore chargé de l'étudier encore moins de la contrer. Il n'existe pas de prise en charge spécifique des victimes d'homophobie, aucun service spécialisé, aucune aide psychologique ou juridique. Pour autant, les associations - telles que la nôtre - qui assument cette mission de service public, ne reçoivent pas de subventions et ne bénéficient d'aucune aide. Pourtant, l'observatoire Sos homophobie, permet de quantifier et qualifier la part d'homophobie dont elle a connaissance. Cette connaissance aide à la définition des moyens nécessaires pour la faire reculer, mais elle est partielle. Le numéro de la ligne d'écoute n'est encore diffusé que de manière quasi confidentielle car nous ne pouvons nous offrir une campagne de publicité nationale, pourtant, nous recevons entre 300 et 400 appels par an. Alors, il est aisé d'imaginer le nombre d'appels que nous pourrions recevoir si ce numéro était par exemple aussi connu que ceux de SOS Amitié ou Sida Info Service.Notre connaissance de l'homophobie, même embryonnaire, est précieuse. Quelles formes a-t-elle pris en 1999 ? S'est-elle modifiée, amplifiée ou pas ? C'est ce que ce nouveau rapport annuel va nous révéler.
Rappelons d'abord ce que le mot signifie : c'est un néologisme apparu dans les années 1970, il résulte de la contraction du mot homosexuel et du radical phobos qui veut dire crainte en grec. Peut-être vous posez-vous la question de ses origines ? Nous sommes assez tentés d'y renoncer car se poser une telle question équivaut à s'interroger sur les origines du racisme ou du sexisme. Les réponses à ces questions sont certainement fondamentales, mais consacrer de l'énergie à des préoccupations plus pragmatiques nous paraît plus efficace. Incontestablement, les mécanismes qui régissent ces fléaux ne sont pas très différents. Entretenus par des dogmes religieux et culturels, ils sont basés sur le rejet de l'autre différent et servent des intérêts et privilèges socio-économiques.
Nous proposons de définir ainsi l'homophobie : toute discrimination, toute manifestation de mépris, d'aversion, de rejet ou de violence, à l'égard de personnes ou de pratiques homosexuelles ou perçues comme telles. Pour être complet il faut rajouter également, toute manifestation d'ignorance ou de négation de l'homosexualité, comme par exemple l'absence de la question de l'homosexualité dans les manuels scolaires d'éducation sexuelle.Pour faire plus court, il est également possible de dire que l'homophobie est une entrave au libre choix du mode de vie et de la sexualité des individus. Notre association considère que l'affirmation de l'homosexualité comme orientation sexuelle ou pratique sociale relève de l'évidence et n'a pas à donner lieu à quelque forme de rejet que ce soit. D'ailleurs, les homosexuels revendiquent désormais une reconnaissance et des droits, leur détermination contribue à la construction d'une société de progrès.
Néanmoins, et notre rapport annuel en fait une fois de plus la démonstration, l'homophobie, même si elle est de plus en plus souvent obligée de battre en brèche, est hélas toujours bien vivante. Celle exprimée sur notre ligne d'écoute est aussi bien le fait d'individus isolés que d'institutions ou entreprises. Elle se manifeste autant en région parisienne qu'en province. Elle paraît plus toucher les hommes que les femmes mais on peut penser que pour ces dernières existe un double phénomène de sous-déclaration dû à une plus grande intériorisation, et de sous-exposition dû à une moindre visibilité.
Nous avons relevé une homophobie ordinaire avec son cortège de rumeurs, moqueries, caricatures et d'insultes, dans la rue, sur le lieu de travail ou en famille, puis une homophobie agressive faite de refus de service, de mises à l'écart professionnelles voire de licenciements, de refus d'attribution de garde d'enfants, de complots dans des immeubles d'habitation, d'exclusion familiale, enfin une homophobie destructrice avec son lot d'agressions physiques, de viols et occasionnellement de meurtres. A l'instar d'autres fléaux, tels que le racisme et le sexisme, il faudra du temps et surtout des moyens adaptés pour effacer l'homophobie des mentalités.Les pouvoirs publics ont les moyens d'accélérer la mise en oeuvre d'un processus de lutte contre l'homophobie, ils doivent faire preuve de responsabilité et ériger l'orientation sexuelle en liberté fondamentale. Ils peuvent commencer en pénalisant enfin l'homophobie. La loi a une vertu pédagogique certaine, il est fondamental d'officialiser le caractère inacceptable de l'homophobie. En outre, le principe d'égalité des droits s'accorde pleinement avec la reconnaissance de diversités profitables à la société dans son ensemble.
En tout cas, les associations sont aujourd'hui mobilisées pour obtenir la pénalisation de l'homophobie ; en effet la faculté de se constituer partie civile dans des affaires de discrimination matérielle est importante mais insuffisante. L'injure ou la diffamation envers les homosexuels qui vivent dans une société où les injures les plus communes les désignent ne sont guère prises au sérieux. L'insulte privée ou la diffamation, à l'encontre de personnes précises, sont condamnées par les lois sur la presse du 29 juillet 1881 et les homosexuels peuvent individuellement s'en prévaloir. La loi sur la presse de 1881 prévoit également la ondamnation de la diffamation collective envers un groupe de personnes à raison de leur origine, appartenance ou non à une ethnie, une race, une nation, une religion ou de leur sexe".
Mais, l'orientation sexuelle a été omise, ce qui permet encore aux homophobes (voir les propos tenus lors des débats sur le PACS) de proférer en toute impunité des horreurs telles que "Les pédés au bûcher" ou "Pas de neveux pour les tantouzes". Les associations s'organisent également pour obtenir l'adoption de plans de prévention, avec des actions de sensibilisation des structures et personnels au contact du public, tels que les enseignants, personnels hospitaliers, agents des forces de l'ordre... Nous serons tout particulièrement vigilants sur la mise en œuvre d'actions de prévention dignes de ce nom.
Nous établissons donc cette année un constat de progrès, mais sommes bien déterminés à asseoir ces quelques avancées. Il faut quand même bien en convenir obtenues à l'arrachée, et surtout à renforcer efficacement ce trop maigre dispositif pour sécuriser l'avenir des gais et des lesbiennes.
Pour Sos homophobie
La présidente, Christine le Doaré.